Des certitudes, des doutes, de nombreuses pistes : l’hydrogène, mis en avant dans un cycle de rencontres de l’Association des Ingénieurs et Scientifiques du Luxembourg, a un bel avenir devant lui. Mais sa domestication n’est pas dénuée de contraintes. De quoi ravir les ingénieurs et scientifiques, appelés à être le moteur de la transition vertueuse de nos économies.
« Quel est le futur de l’hydrogène au Luxembourg et dans le monde? » : c’était le thème de la grande table ronde de rentrée de l’Association des Ingénieurs et Scientifiques, une première en présentiel pour l’association depuis de nombreux mois. Dans un Forum Da Vinci bien garni, le panel était composé de Georges Reding, chargé de la direction des énergies renouvelables au ministère de l’Energie et de l’Aménagement du territoire, Anamaria Zianveni, Project Manager CEO du département Acquisition and Strategic Foresight chez Encevo SA, Dr. Félix Urbain, Senior Consultant at Nordic Innovators P/S et Christophe Galimont, Director Public Affairs chez Air Liquide Benelux Industries. Pas de débat de haut niveau sans animateur à la hauteur. Dans le rôle, Joseph Rodesch, notre « Monsieur Science » a joué la carte de la vulgarisation, tout feu tout flamme.
Substitut vertueux aux énergies fossiles
Non, l’hydrogène n’est pas mort, loin de là. Oui, il continue à passionner la communauté scientifique et industrielle et trouve, çà et là, des applications bien concrètes, notamment dans l’industrie chimique et pétrolière. Il est aussi l’objet de développements prometteurs dans les transports, le chauffage, le stockage d’énergie… La principale vertu de ce gaz, le plus léger qui existe, est d’être disponible partout – on le trouve dans l’eau – et de constituer un substitut vertueux aux énergies fossiles. Encore faut-il le produire de façon verte, ce qui constitue toujours une gageure. La voie prônée traditionnellement est celle de l’électrolyse, au départ d’électricité verte. Plus d’électricité pour plus d’hydrogène : l’équation paraît déjà ambitieuse.
« L’hydrogène n’est plus un sujet de ‘savant fou…’ et nous n’avons plus de temps à perdre car l’objectif est la neutralité carbone et il faudra mettre en place tous les moyens pour y arriver », estime Anamaria Zianveni. Elle croit à la création de réseaux, aptes à fédérer les initiatives entreprises dans tous les coins d’Europe. La clé du succès de l’hydrogène, c’est un vrai marché impliquant tous ces clusters et au-delà, soutenu et encouragé par les pouvoirs publics autant qu’il le faut.
Transport malaisé
Pour le Luxembourg, le focus est plutôt mis sur 2050 que 2030, le pays n’ayant pas une grosse consommation actuelle à « verdir ». Et il n’est pas question de produire autre chose que de l’hydrogène propre ! Or, le Luxembourg n’injecte que 15% de renouvelable sur son réseau à l’heure actuelle. Car c’est une des variables de l’équation : l’hydrogène, versatile, peut provenir autant de sources polluantes que durables. L’Etat s’est associé à un projet de production sur une île danoise, qui suppose de réfléchir aussi au transport de l’hydrogène, comme l’explique Georges Reding. Tanker ou pipeline ? Que le meilleur gagne.
Infrastructure et transport : c’est la clé de voûte du système. Anamaria Zianveni évoque un gazoduc d’une centaine de kilomètres converti sans trop de problèmes au transport du nouveau graal, tandis que Christophe Galimont décrit la possibilité de la conversion des réseaux de gaz naturel en réseau d’hydrogène, en commençant par les courtes distances. « Et puis, il n’y a pas que l’électrolyse ! On peut transformer l’hydrogène en méthane vert, beaucoup plus facile à stocker et à transporter. En même temps, il ouvre la voie au recyclage du CO2 émis », remarque Felix Urbain. Il mise aussi beaucoup sur le reformage du biométhane qui permettrait de produire l’hydrogène propre à grande échelle : « un potentiel énorme ».
Une pièce de puzzle
« Et ne dédaignons pas l’hydrogène bas carbone », insiste Christophe Galimont, qui évoque ce processus de production intégrant la capture de CO2. Le secteur de la sidérurgie comme celui de la fabrication de ciment, par exemple, essaient d’utiliser l’hydrogène dans leurs processus, eux qui sont d’énormes producteurs de CO2. « Mais il faudrait quatre Cattenom pour produire assez d’hydrogène pour faire fonctionner un haut-fourneau », estime un ingénieur présent dans la salle. « Les investissements nécessaires aux objectifs européens de 2030 puis 2050 sont énormes, et nous avons très peu de temps », constate Christophe Galimont. « Le plus grand électrolyseur du monde est en projet à Terneuzen (Pays-Bas) ; son développement va prendre des années… et il en faudrait déjà des dizaines pour le Benelux seulement pour atteindre les objectifs de 2030! »
Si tous s’accordent à placer l’hydrogène parmi les priorités pour disqualifier les énergies fossiles, ils n’en font pas la panacée. Les tensions actuelles sur les prix de l’énergie indiquent à suffisance à quel point le mix reste aussi complexe qu’incontournable. « Si l’hydrogène améliore son efficacité, il va prendre de plus en plus d’importance à long terme, estime Georges Reding. En attendant, il reste une pièce parmi d’autres dans un puzzle complexe ».