Avant son mari Pierre, Marie Curie eut pour mentor Gabriel Lippmann

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Elle est surtout connue comme la seule femme ayant obtenu deux prix Nobel, celui de Physique en 1903 et celui de Chimie en 1911. Marie Sklodowska, qui épousa Pierre Curie, repose aujourd’hui au Panthéon à Paris, avec son mari, et garde l’image d’une des plus formidables scientifiques que le monde ait connues. Ses travaux sur la radioactivité, notamment, la rendent incontournable dans l’histoire de la recherche. On sait moins, sans doute, qu’elle eut pour mentor un certain Gabriel Lippmann, le scientifique luxembourgeois natif de Bonnevoie, prix Nobel de Physique en 1908.

Marie Curie (Photo Henri Manuel)

Née le 7 novembre 1867 à Varsovie (Pologne), Marie est fille d’une institutrice et d’un professeur de mathématiques et de physique. Tôt orpheline de sa mère, l’enfant à haut potentiel se réfugie dans la lecture et les études, renforçant son appétance pour la physique et les mathématiques.

Les temps sont difficiles, pourtant, et l’accès aux études scientifiques est pratiquement impossible pour une femme à cette époque. Vivant d’un emploi de gouvernante, elle aide sa soeur Bronya à entreprendre des études de médecine à Paris. Celle-ci l’encourage ensuite à la rejoindre dans la Ville lumière, à partir de 1891. Marie y suit les cours de mathématiciens renommés, Paul Appelle et Paul Painlevé, mais aussi des physiciens Léon Brillouin et… Gabriel Lippmann.

À cette époque, Lippmann est un professeur de physique reconnu, notamment pour ses travaux sur l’électricité et la photographie en couleurs, qui lui vaudront bien plus tard le prix Nobel.

Gabriel Lippmann

Lippmann devient l’un des professeurs de Marie Curie et joue un rôle important dans sa formation scientifique. Il est aussi celui qui dirige sa première recherche importante, portant sur les propriétés magnétiques des aciers trempés. Bien que ce travail n’ait pas été publié à l’époque, il a marqué le début de sa carrière de chercheuse.

Impressionné par les qualités de Marie, Lippmann obtient pour elle une bourse de la Société de l’encouragement. Et c’est en l’orientant vers une étude sur l’aimantation de différents types d’aciers qu’il la jettera littéralement dans les bras de son futur marie, Pierre Curie, qui est alors un des grands spécialistes en la matière. Le mariage sera célébré en 1895 et cette union donnera lieu à la naissance de la petite Irène… qui, bon sang ne pouvant mentir, décrochera à son tour un prix Nobel de Chimie, en 1935.

L’itinéraire de Marie Sklodowska souligne bien un élément essentiel dans une carrière scientifique: la présence de mentors. Gabriel Lippmann, qui la fit entrer dans le monde universitaire parisien, est sans doute le plus caractéristique, mais d’autres grands noms accompagnent son parcours.

Pierre Curie, bien sûr, son mari, mais aussi son collaborateur scientifique. Même si ce fut une collaboration d’égal à égal, Pierre était déjà un physicien reconnu avant leur rencontre. Il a beaucoup encouragé Marie, notamment en lui laissant toute la place dans leurs recherches sur la radioactivité. Leur travail commun sur le polonium et le radium leur a valu une reconnaissance internationale.

Paul Appell, mathématicien influent à la Sorbonne, a joué un rôle indirect mais important en soutenant la candidature de Marie Curie à divers postes académiques et en défendant la place des femmes dans la science. Joseph Kowalski et d’autres enseignants à Varsovie ont aussi contribué à l’édification de la jeune Marie au sein de l'”Université volante”, un réseau clandestin d’enseignement destiné à contourner la censure russe et à promouvoir l’éducation scientifique et patriotique des jeunes Polonais. Elle y a développé sa passion pour la science et l’autodiscipline.

Quant à Henri Becquerel, même s’il n’a pas été son mentor direct, ses travaux sur la radioactivité naturelle ont profondément influencé Marie Curie. C’est en s’appuyant sur ses découvertes qu’elle entame ses propres recherches sur les substances radioactives.

Couple en osmose

En l’an 1894, dans les couloirs de la science parisienne, Marie Sklodowska croise donc le chemin de Pierre Curie, physicien d’un calme profond, reconnu pour ses travaux sur le magnétisme. Leur rencontre est une conjonction rare: ils formeront un tandem scientifique d’une rare intensité.

L’étincelle jaillit des recherches d’Henri Becquerel sur l’uranium : fascinée par les rayonnements mystérieux que ce métal dégage, Marie s’engage dans une quête acharnée. En 1898, au prix d’un travail aussi méthodique que harassant, elle met au jour deux éléments jusque-là inconnus : le polonium, qu’elle baptise ainsi en hommage à sa patrie natale et le radium, dont elle parviendra à isoler une forme pure en 1910, après des efforts intenses.

Pierre et Marie Curie dans leur laboratoire.

La consécration par le Nobel

En 1903, l’Académie suédoise reconnaît l’ampleur de leurs découvertes : Marie et Pierre Curie, aux côtés de Becquerel, reçoivent le Prix Nobel de physique. Marie devient ainsi la première femme à se voir décerner cet honneur prestigieux. Mais le destin frappe. En 1906, Pierre meurt tragiquement, renversé par une voiture à cheval. Loin de sombrer, Marie redresse la tête et reprend seule le flambeau de leurs recherches. En 1911, son opiniâtreté paie à nouveau : elle obtient le Prix Nobel de chimie, cette fois en son nom seul, pour l’isolement du radium. Nul autre n’a été honoré par deux Nobel scientifiques dans deux disciplines différentes.

Pendant la Première Guerre mondiale, Marie ne reste pas en retrait. Elle conçoit des unités mobiles de radiologie – affectueusement surnommées les petites Curies – qui parcourent les champs de bataille pour aider les chirurgiens à localiser balles et éclats d’obus.

Derniers rayons et héritage

Marie Curie s’éteint le 4 juillet 1934, emportée par une anémie aplasique, conséquence silencieuse de sa proximité constante avec des substances radioactives.

Sa fille, Irène Joliot-Curie, reprendra le flambeau aux côtés de son époux Frédéric. Ensemble, ils découvriront la radioactivité artificielle, décrochant à leur tour un Prix Nobel de chimie en 1935.

L’Institut du Radium, qu’elle avait fondé, perpétue aujourd’hui son engagement au sein de l’Institut Curie, l’un des bastions mondiaux de la lutte contre le cancer.

Au-delà de Pierre : l’empreinte de Marie

Si Pierre Curie apporta rigueur, instruments et génie théorique à leurs recherches communes, c’est Marie qui, dès l’origine, orienta leurs actions. Voici ce qui caractérise sa contribution :

  • Une intuition pionnière : elle pressent que l’uranium n’est qu’un fragment du mystère, et propose le terme radioactivité pour désigner ce phénomène nouveau.
  • Un esprit en éveil : c’est elle qui émet l’hypothèse de nouveaux éléments, et qui les révèle au monde à force d’expériences précises et patientes.
  • Une volonté d’acier : seule, dans un hangar spartiate, elle remue des tonnes de minerai pour extraire quelques grammes de radium
  • Une scientifique complète : après la disparition de Pierre, elle poursuit, seule, des recherches d’avant-garde, qui lui vaudront le second Nobel.

Enfin, Marie voit là où d’autres ne regardent pas : elle pressent les usages thérapeutiques du radium, milite pour leur développement, et lègue à la postérité un important héritage scientifique et médical.

Marie Curie n’a pas seulement révolutionné la science : elle a redéfini ce qu’une femme pouvait accomplir dans un monde où cela semblait impossible. Sa vie est une ode à la ténacité, à l’intuition, et à la puissance du savoir.