Décarbonation: CERATIZIT met les bouchées doubles

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Enjeu majeur pour la transition écologique, la décarbonation des industries est une équation complexe. D’aucuns pourraient n’y voir qu’un ravalement de façade destiné à se donner belle allure dans le public : le greenwashing n’est pas rare, et abondamment illustré.

Le cas de CERATIZIT, un des fleurons industriels du Luxembourg, établi à Mamer, illustre clairement la complexité d’un ensemble de réflexions vertueuses et de processus qui peuvent se révéler complexes, coûteux… mais parfois aussi rémunérateurs à l’arrivée.

Ralph Useldinger, responsable de la R&D à CERATIZIT

Ralph Useldinger, Head of Group Analytics and Fundamental R&D à CERATIZIT, s’est investi complètement dans le sujet depuis que le conseil d’administration du groupe a décidé que la décarbonation s’accomplirait rapidement et le plus intensément possible. Les objectifs sont extrêmement exigeants et ambitieux.  Mais les débuts sont prometteurs : en trois ans, entre 2020 et 2023, le groupe a réduit son empreinte de 22%. « En 2025, nous devons être à -35%, en 2030 à -60%, et en 2040 à net 0 », sourit Ralph Useldinger.

Au centre du jeu, le carbure de tungstène

La société est spécialisée dans la fabrication d’éléments en carbure de tungstène. L’extrême solidité de ce matériau, plus résistant que l’acier, le destine à des solutions d’outillage de coupe et de matériaux d’usure. CERATIZIT travaille en B to B. Dans les magasins, on peut par exemple trouver des mèches de foreuse dont la pointe provient de l’usine luxembourgeoise. Quatrième au monde dans sa spécialité, l’entreprise ambitionne de grimper à la troisième place. Elle mise beaucoup sur l’innovation, avec une majorité de produits ayant moins de cinq ans.

100.000 références

Plus de 100.000 produits différents en carbure de tungstène sont fabriqués dans le groupe, qui compte une trentaine de sites de production. La gamme reflète une diversification extrême : des éléments qui servent au travail de la pierre et du bois, et aussi toute une panoplie de pièces d’usure. Au Luxembourg, le carbure de tungstène est fabriqué sur le site de Niederkorn, et les pièces sont réalisées  à Mamer.

Diverses nuances existent, différant par la taille des grains et la teneur en cobalt, qui confèrent des propriétés particulières, de dureté notamment, selon la destination du produit. C’est tout l’art de l’utilisation du carbure de tungstène : il n’y a pas de formule d’un alliage idéal qui conviendrait à tous les usages, mais toujours un compromis et une optimisation en fonction de ses applications et des contraintes diverses auxquelles l’objet sera soumis.

Réduire les émissions et instaurer la circularité

Pour devenir une référence en matière de développement durable, on n’est pas obligé de partir d’une page blanche. Les Nations unies, par exemple, ont publié une liste de 17 valeurs allant dans ce sens. « Nous les avons passées en revue et analysé lesquelles nous convenaient ou dans lesquelles nous pouvions faire la plus grande différence : égalité de genre, innovation, infrastructure résiliente, consommation responsable, action pour le climat… Réduction du CO2 et meilleure circularité sont les deux éléments que nous avons détachés pour la première étape », résume Ralph Useldinger.

Quatre niveaux d’action ont été identifiés :

  • Efficience dans l’utilisation des ressources et des matériaux lors du processus de production
  • Une innovation de pointe orientée vers la fabrication de produits durable
  • Travailler sur le caractère attractif du milieu de travail
  • Considérer les aspects environnementaux et sociaux dans la chaîne d’approvisionnement

« Notre empreinte CO2 vient d’abord des matières qu’on achète, puis de notre processus de production lui-même, et enfin des émissions nécessaires à notre personnel pour se déplacer vers nos sites, et toute la partie logistique », résume Ralph Useldinger. « De gros gains pouvaient être trouvés dans la réévaluation des processus et dans l’utilisation, par contrat avec nos fournisseurs, d’énergie verte. Les parkings de l’usine ont aussi été couverts de panneaux photovoltaïques. Nous sommes très consommateurs d’électricité puisque nous chauffons les pièces lors de leur fabrication.»

Boucler la boucle des matières

« Avec 0,2% de tungstène dans une terre, on obtient une tonne de minerai pour 500 tonnes de terres qui doivent être déplacées, traitées, réintégrées… La partie extraction, qui passe aussi par des traitements chimiques et évidemment du transport, contribue largement aux émissions de notre production. Il faut ensuite purifier le produit, le mettre en poudre, fabriquer le carbure de tungstène qui entre dans notre processus à Mamer. »

« Il est clair que si on peut se passer de toutes ces étapes préalables, et réintroduire à notre stade le produit récupéré, on a déjà fait un pas considérable en avant ! Mais si on peut en plus éviter la partie hydrométallurgie et pyrométallurgie pour repartir plus haut dans la chaîne de transformation, c’est encore meilleur ! »

Risques d’approvisionnement

Le tungstène et le cobalt, essentiels dans l’activité de CERATIZIT, sont des matières dont l’approvisionnement est soumis à beaucoup de risques : maîtrise étrangère des flux, mais aussi concurrence d’autres acteurs, alors que la fabrication de batteries est en plein essor. 83% du tungstène vierge vient de Chine, le Cobalt provient surtout de République démocratique du Congo, ce qui peut entretenir une importante dépendance. En sortir en limitant au maximum le recours à de nouvelles matières recèle donc d’importants avantages, tant au point de vue de l’environnement que d’une certaine indépendance commerciale. En refermant la boucle des matières, ou au moins en la resserrant à 95%, l’industrie acquiert beaucoup de liberté autant qu’un brevet de respectabilité environnementale.

Les besoins en cobalt de CERATIZIT sont aujourd’hui entièrement couverts par le recyclage. La part de tungstène vierge dont le groupe a encore besoin provient de mines occidentales.

Des produits durables dès le début

« Comme ils sont par nature très résistants à l’usure, nos produits possèdent déjà un caractère durable très prononcé », insiste en préambule Ralph Useldinger. « Leurs réduction, réutilisation ou recyclage sont des flux directs très intéressants pour nous. La récupération et le tri impliquent la mise en place de toute une logistique et de nouveaux processus. »

La circularité poussée au maximum

« On nous a fixé des objectifs de recyclage très importants. Aussi bien de la matière gâchée pendant le processus de production que des pièces usées ou des outils en fin de vie à récupérer. Il fallait instaurer une vraie circularité de nos matières. Récupérer toute cette mitraille nous rend aussi plus indépendants de la Chine, d’où provient la plus grosse part du tungstène. Mais toutes les pièces ne sont pas aisément recyclables. Des petits éléments de carbure de tungstène intégrés dans une scie sont peu récupérables. Idem pour une tête de foret, qui a en plus déjà subi une usure conséquente ».  Sans compter l’énergie mise à rassembler ces éléments, à les transporter, à les réinjecter dans le processus de production. Certains se retrouvent ainsi dans un flux de recyclage classique avec les métaux. C’est ce qu’on appelle le « downcycling » par opposition au « recycling ».

« Nous avons dû étudier le bilan complet de tous ces petits éléments. Il est certain que d’autres produits se prêtent beaucoup plus à une réutilisation. Et même, certaines pièces peuvent être réaffûtées, ce qui est nettement meilleur pour l’environnement que reprendre tout le processus. Bien sûr, si on diminue en diamètre après réaffûtage, la pièce passe au gabarit inférieur. »

A noter que le recyclage ne concerne pas uniquement la production propre, mais aussi celle de la concurrence. Le carbure usé est racheté aux utilisateurs.  « L’enjeu majeur, c’est de recycler, tout en gardant la meilleure qualité », insiste Ralph Useldinger.

160 nuances de carbure

CERATIZIT met au point l’imposition d’un code spécifique sur chaque pièce produite. Ce numéro de série standard, semblable à un QR code allongé, contiendra les indications essentielles pour le recyclage, comme la teneur de l’alliage. CERATIZIT utilise pas moins de 160 nuances différentes dans ses différentes productions. Un tri optimal est une condition importante pour un retraitement correct. Actuellement, il est encore soumis aux aléas des manipulations humaines. Un procédé de recyclage au zinc, mis au point dans les centres de recherche luxembourgeois, finlandais et autrichien du groupe, a montré toutes ses possibilités. La séparation optimale de la mitraille et le recours à l’intelligence artificielle permettront de l’optimiser.

Produire plus efficacement et proprement

L’impressionnant service de Recherche & Développement de Mamer ne manquera pas de travail dans la transition de CERATIZIT. Ses chercheurs savent qu’on peut gagner en efficacité en calculant mieux les dimensions souhaitées, pour ne pas avoir à faire de reprises sur la pièce, et éviter d’avoir à opérer des rectifications, qui sont coûteuses et consommatrices en énergie. Une bonne simulation des processus en amont fait ainsi partie des bonnes pratiques durables. Faire de meilleurs produits avec moins de matériaux entre aussi dans cette logique.

L’utilisation de l’hydrogène, neutre en CO2, pour la réduction de l’oxyde de tungstène en tungstène métallique, fera gagner énormément en empreinte CO2. L’Université du Luxembourg étudie l’application de ce procédé à la production locale. Le projet s’inscrit dans l’ambitieux projet LuxHyVal

L’impression 3D est évidemment une piste vertueuse très classique, non seulement parce qu’elle économise la matière en n’utilisant que le strict nécessaire, mais aussi parce qu’elle permet de concevoir et fabriquer des éléments plus légers, dessinés différemment, sans contraintes de formes des circuits classiques de production. Ce n’est pourtant pas (encore ?) la panacée. Elle est adéquate pour des pièces uniques sur mesure. Pour le reste, les processus classiques restent relativement incontournables.

  • Le petit univers de la recherche de CERATIZIT est ouvert sur le monde : il accueille volontiers en stage des étudiants de partout engagés dans une thèse de master. Qu’on se le dise.

En savoir plus : https://www.ceratizit.com/int/fr/sustainability.html

À propos de CERATIZIT : Filiale de Plansee Group, CERATIZIT a son siège social à Mamer, mais possède 30 sites de production dans le monde et est actif dans 80 pays. Un millier de salariés sur les 7.000 qu’emploie la société sont actifs à Mamer. De nombreux ingénieurs travaillent sur le site de Mamer, tant dans la recherche que dans les ventes, la gestion des process et la production. Même au stade des achats, les connaissances des ingénieurs sont capitales.